► Massacre du dimanche sanglantAu début d'octobre 1941, les nouvelles des massacres dans les petits villages des Carpates arrivent à Stanisławów. Quelques jours plus tard, des terrassiers du « Baudienst » ukrainien arrivent dans le nouveau cimetière juif avec bêches et pics et commencent à creuser de grandes fosses, destinées, selon leurs dires, à devenir des abris antiaériens. Sur ordre de
Hans Krueger, la police ukrainienne dresse des listes de tous les Juifs de la ville. Le 10 ou le
11 octobre 1941, une rumeur circule que la Gestapo avait ordonné au Judenrat de lui fournir 1 000 hommes à envoyer dans des camps de travail.
Emplacement de Stanisławów (en bas à droite dans le district de Galicie)
pendant la Shoah en Europe de l'Est. Le
12 octobre 1941, les maisons des juifs au centre de la ville sont cernées par la police allemande, les Ukrainiens et les membres du « Bahnschutz » (police des rails) armés de mitraillettes et de matraques. Des milliers de Juifs se sont rassemblés sur la place du marché Ringplatz pour une « sélection ». Ils doivent se rendre en ordre par la rue Batory au cimetière, où les
charniers avaient déjà été préparés, tandis que les malades et impotents sont chargés sans ménagement sur des camions. Au cimetière, les gardes rassemblent les Juifs près du mur, et leur ordonnent de leur livrer les objets de valeur. Ils vérifient les permis du travail au cours duquel plus de cent travailleurs (plusieurs centaines selon d’autres sources) sont libérés, mais sans tenir compte des permis délivrés par le Judenrat. Le massacre commence dans l’après midi : petit groupe par petit groupe, les gens sont obligés de se déshabiller et de ranger soigneusement leurs vêtement, puis sont amenés du mur au bord de la fosse. Certains sont abattus directement, d’autres doivent d’abord sauter dans la fosse avant d’y être assassinés. Certains membres du Judenrat sont amenés avec leur famille au cimetière, près des fosses, et sont obligés d’assister à la tuerie avant d’être exécutés à leur tour. Seibald, le chef du Judenrat réussit à se cacher ; Tennenbaum (chef du bureau du travail qui fait le lien entre le Judenrat et la Gestapo) fait face courageusement : le chef de la Gestapo lui offre la liberté, mais il refuse et choisit de mourir avec ses frères. Des membres du Judenrat présents au cimetière, seul Michael Lamm (président-adjoint et avocat) et sa famille sont libérés.
La tuerie s’achève au coucher du soleil. Entre 10 000 et 12 000 juifs ont été assassinés: hommes, femmes et enfants. 2 000 ou 3 000 qui n’ont pas été tués sont renvoyés à la maison. L'Aktion, sans précédent en termes d'échelle dans l'histoire de l'
Holocauste jusqu'à cette date en
Pologne occupée, était connu sous le nom de Blutsonntag ou le Bloody Sunday. Une célébration de la victoire a eu lieu ce soir-là au siège. Le jour suivant, la fosse commune est comblée de terre et ceux qui sont chargés de cette besogne sont exécutés. Le lendemain paraît un décret : après les
« émeutes de la veille », la vie doit à nouveau revenir à la normale.
Le massacre du dimanche sanglant du
12 octobre 1941 était le plus grand massacre de Juifs polonais commis par les autorités nazies dans le
gouvernement général avant le plan
Aktion Reinhardt de 1942. Il a été précédé par le massacre du vendredi rouge de 5 000 juifs dans le
ghetto de Białystok les 27 et
28 juin 1941 par le 309e bataillon de police, mais n'a été dépassé que par le 45e bataillon de police lors du massacre de 33 000 juifs à Babi Yar dans le
Reichskommissariat Ukraine, à l'extérieur de
Kiev les 29 et
30 septembre 1941 ; et le dernier massacre de l'
Aktion Erntefest avec plus de 43 000 Juifs assassinés dans le
camp de concentration de Majdanek et ses sous-camps le
3 novembre 1943, perpétré par des
Trawnikis d'Ukraine avec le bataillon de 101e police de réserve de la
police allemande de Hambourg.
► Le ghettoLe principe de l'établissement d'un ghetto à Stanislawow est discuté dès septembre 1941 entre les autorités allemandes et le Judenrat. Le Judenrat tente de retarder la parution du décret par la corruption. Les Allemands prévoient d’abord un bloc d’immeubles afin que tous les Juifs soient regroupés dans un seul endroit. Le
11 octobre 1941, un jour avant la tuerie du cimetière, la
Schupo ordonne au Judenrat de préparer plusieurs plans pour le ghetto. Après que l'« Aktion » de
Hoshanna Rabba ait réduit de manière significative la population juive, les Allemands abandonnent leur plan initial et décident d’enfermer les Juifs dans le quartier juif traditionnel. Le Judenrat soumet son plan pour le ghetto en octobre ou novembre 1941. Pendant un certain temps les limites n'en sont pas fermement établies, et le Judenrat tente d’y incorporer des rues voisines. Comme certaines rues se prolongent en dehors des limites du ghetto ou servent de passage, le ghetto est formé d’une zone centrale et de deux ou trois secteurs séparés, les îlots. Le ghetto se situe dans le secteur le plus pauvre de la ville et s’étend sur une surface d’environ 1/8e de la cité. Il n'y a pas assez de réservoirs d'eau potable et les maisons sont pour la plupart en mauvais état ou à moitié détruites. Les Juifs rejoignent le ghetto entre le 1er et le
15 décembre 1941. Les plus riches y entrent les premiers, pouvant louer des camions ou des voitures pour amener leurs affaires. Les milliers d’autres, les pauvres, n’ayant pas les ressources suffisantes pour se payer des moyens de transport, se déplacent avec les moyens du bord et dans beaucoup de cas, arrivent à la dernière minute avec leurs maigres bagages. Des milliers de pauvres restent sans toit dans le ghetto, car il n'y a pas suffisamment de logements. Le Judenrat les abrite dans les entrepôts, les garages, les synagogues et dans tout autre endroit disponible. Pour séparer le ghetto du secteur « Aryen », portes et fenêtres donnant vers lui sont murées ou clouées de planches. Une barrière de bois de 3 mètres de haut avec barbelés est construite sur les terrains découverts, marquant la frontière du ghetto. Sur le mur extérieur, une ligne blanche et des étoiles de David peintes signalent le ghetto. Au début, le ghetto est ouvert sur l’extérieur par trois portes. Plus tard, le Judenrat persuadera les autorités d’ouvrir encore trois ou quatre portes. La Shupo et la police auxiliaire ukrainienne gardent ces portes, secondées par la
police juive. Une chaîne de postes de garde est également mise en place sur les berges du fleuve
Bystrzyca. Le ghetto est officiellement ouvert le 20 ou le
22 décembre 1941. Le nombre exact de Juifs qui y logent n’est pas connu. Il se situe probablement entre 28 et 30 000 personnes, mais il est également possible qu'il y en ait eu plus, puisqu'en automne 1941 arrivent les réfugiés juifs des villages voisins.
Quartier juif avant la Seconde Guerre mondiale avec des enseignes
en polonais et la synagogue en arrière-plan. Le rationnement est imposé, les rations de nourriture sont réduites (un demi kilo de pain ou de farine par personne et par semaine, 50 grammes de sucre par mois), et des ateliers ont été organisés pour soutenir l'effort de guerre allemand. Au cours de l'hiver et jusqu'en juillet 1942, la plupart des exécutions extrajudiciaires ont eu lieu au Moulin de Rudolf (Rudolfsmühle).
En mars 1942, une rumeur se met à courir au sujet d’une « Aktion » imminente devant éliminer les « inaptes au travail » et restreindre la surface habitable du ghetto. La veille de la Pâque, le
31 mars 1942, en soirée, la police allemande et ukrainienne cerne le ghetto. Les Juifs sont expulsés de leurs maisons dans les cours et les rues. Le point de rassemblement de cette opération est le croisement des rues Belwederska et Batory. Au matin, après un contrôle des permis de travail, les employés « officiels » du Judenrat et de plusieurs autres bureaux ainsi que les ouvriers sont libérés. Les autres sont emmenés à la gare, entassés dans des
trains de l'Holocauste vers le
camp d'extermination de Bełżec au nord de la ville. Les premières victimes de cette « Aktion », au moins 5 000, sont les mendiants, les sans-abri, les derniers réfugiés hongrois vivant dans le dépôt « Rudolf », les résidents de la maison de retraite et les orphelins. Le secteur du ghetto est rétréci d’un tiers par l’amputation du secteur entre les rues Kazimierzowska, Batory et Siemiradzki, et tous ceux qui habitent en dehors des nouvelles limites sont obligés de s’y réinstaller le
21 avril 1942. À partir de cette date, le ghetto sert principalement de camp pour les Juifs aptes au travail, employés par l'économie allemande. Puis les Allemands recensent les résidents du ghetto : les Juifs doivent se réunir au bureau du travail par ordre alphabétique aux jours indiqués.
Les 24 et
25 janvier 1943, quelque 1 000 Juifs sans permis de travail ont été abattus. De 1 500 à 2 000 autres ont été expulsés vers le camp de concentration de Janowska pour y être exterminées2. Les 22 et
23 février 1943, Brandt, qui avait succédé à Hans Krüger en tant que SS-Hauptsturmführer, a ordonné aux forces de police d'entourer le ghetto en vue de sa liquidation définitive. L'Aktion a duré quatre jours. La plupart des victimes ont été tuées au cimetière, y compris le conseil juif. Peu de temps après, les Allemands ont annoncé que Stanisławów était
Judenfrei ou libre de Juifs. Néanmoins, la police a continué à fouiller le quartier du ghetto jusqu'en avril afin de trouver les dernières victimes cachées. Les derniers Juifs enregistrés ont été assassinés le
25 juin 1943.
Juste avant la liquidation du ghetto, un groupe d'insurgés juifs a réussi à s'échapper. Ils ont formé une unité partisane appelée "Pantelaria" active dans la périphérie de Stanisławów. Les deux commandants étaient la jeune Anda Luft enceinte de sa fille Pantelaria (née dans la forêt), et Oskar Friedlender. Leur plus grande réussite a été l'embuscade et l'exécution du chef de la police allemande du nom de Tausch. Le groupe a été attaqué et détruit par les nazis au milieu de l'hiver 1943-1944. Anda et sa nouvelle petite fille ont été tuées.
► Aide de la population polonaiseIl y a eu de nombreux efforts de sauvetage pendant la liquidation du ghetto. Lorsque les
Témoins de Jéhovah ont appris que les nazis prévoyaient d'exécuter tous les Juifs de la ville, ils ont organisé une évasion du ghetto pour une femme juive et ses deux filles. Plusieurs femmes juives ont été cachés pendant toute la période de la guerre. Parmi les Polonais chrétiens accordés à l'honneur des
Justes parmi les Nations se trouvaient des membres de la famille Ciszewski ayant caché dans leur maison onze Juifs fuyant la déportation vers le camp d'extermination de Belzec en septembre 1942 (tous ont survécu). La famille Gawrych a caché cinq Juifs jusqu'au
8 mars 1943, date à laquelle ils ont été découverts par un policier allemand. Quatre Juifs ont été tués par balle et un (Szpinger) a réussi à s'échapper. Jan Gawrych a été arrêté puis torturé et assassiné.
La ville est libérée par l'
armée rouge le
27 juillet 1944. 1 500 Juifs de Stanisławów d'avant-guerre ont réussi à survivre, la plupart s’étant réfugiés en
Union Soviétique. Une centaine a été sauvée, cachée dans la ville par des Polonais et des Ukrainiens. Le propriétaire de l'usine « Vatzk » de Stanisławów a sauvé un certain nombre de Juifs dans le sous-sol de sa maison. Au 54 de la rue Sapiezynska, plusieurs juifs on survécu dans une cache. Quelques Polonais ont protégé 20 juifs dans une cachette dans le quartier Meizle. Quelques juifs ont également survécu dans le quartier Gorki.
Après-guerreLe commandant de Stanisławów lors du massacre du Bloody Sunday, le SS-Hauptsturmführer Hans Krüger fit une brillante carrière en
Allemagne de l'Ouest après la fin de la guerre. Il était président de l'Association des Allemands de Berlin et de Brandebourg et a exercé des pressions au nom de la Ligue des expulsés de l'Est, représentant les intérêts des anciens nazis, entre autres. Il dirigeait sa propre entreprise. Interrogé par les autorités, un acte d'accusation est émis à son encontre par le parquet de
Dortmund six ans plus tard, en octobre 1965. Son procès a duré deux ans. Le
6 mai 1968, le tribunal d'État de
Münster le condamna à la réclusion à perpétuité. Il a été libéré en 1986.
Hans Krüger (1909–1988) ne doit pas être confondu avec l'Oberamtsrichter Hans Krüger (1902–1971)29, juge
SS en Pologne occupée et président de la Fédération des expulsés de 1959 à 1964 de la
CDU. Entre-temps, en 1966, de nombreux procès ont eu lieu à
Vienne et à
Salzbourg contre des membres du Schupo et de la police de la
Gestapo en service à Stanisławów pendant la guerre.
Après la Seconde Guerre mondiale, sur l'insistance de
Joseph Staline lors de la
Conférence de Téhéran de 1943, les
frontières de la Pologne ont été redessinées et Stanisławów (puis à nouveau Stanyslaviv) a été incorporé à la
République socialiste soviétique d'Ukraine. La population polonaise a été réinstallée de force dans la nouvelle Pologne avant la fin de 1946. La ville a été rebaptisée d'après le poète Ivan Franko en 1962 sous
Nikita Khrouchtchev. Depuis 1991, elle est la capitale de l'
oblast d'Ivano-Frankivsk en
Ukraine souveraine.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghetto_de_Stanis%C5%82aw%C3%B3w